femme qui écrit sur un cahier

Récit de vie à (s’) offrir : Catherine, retraitée, 74 ans

Quand Catherine, 74 ans, retrace son parcours, ses premiers mots, ses premières pensées vont à la Tunisie. Ce pays, symbole d’une enfance insouciante et joyeuse, dans lequel elle a vécu ce qu’elle considère toujours comme les « quinze plus belles années de sa vie. » Son arrachement à l’âge de 15 ans est un déracinement, un déchirement. A 19 ans, la jeune femme qu’elle est prend son envol, voire se révolte, pour échapper à une famille aimante et protectrice mais où les adultes ne mettent pas de mots sur ce qui se passe. La découverte de la vie professionnelle est une nouvelle forme de liberté à une époque où le travail ne manque pas et où l’argent est là. Alors Mireille vit l’instant présent « sans aucune projection ni aucune stratégie. » Son secret à elle pour profiter de la vie et s’accomplir.

Pouvez-vous me parler de votre enfance ?
Je suis née en Tunisie et j’y ai passé les quinze premières années de ma vie ; les quinze plus belles années de ma vie, pour le moment. Pour moi, c’est le pays de la liberté, de l’espace, des camarades… Tous les deux ans et demi, on allait au village, en Corse. Là, tout le monde nous attendait, nous gâtait. On y restait deux mois et c’était la fête tous les jours. Puis il y a eu l’indépendance et le retour définitif en France à un âge où on se construit sa personnalité. Ça a été un choc terrible. J’ai découvert Marseille, une grande ville bruyante, dangereuse selon ce que racontait les adultes, avec beaucoup de restrictions. J’ai une sœur jumelle qui, elle, s’est éclatée : elle l’a vécu comme un champ de découverte. Mes parents sans doute pour nous protéger, ne nous ont pas préparés. Mais c’est très important de parler aux enfants pour qu’ils puissent eux aussi appréhender un danger et y faire face. On a été tellement blessés par ce départ que je n’ai plus de souvenir véritablement des lieux, de la maison, du jardin… et je n’ai jamais voulu y retourner.

Comment vos parents vous ont éduqué, vous et vos frères et sœurs ?
Mon père travaillait à l’Arsenal, ma mère s’occupait de nous. Mon père était très strict. Il fallait qu’on soit respectueux, il ne tolérait pas le mensonge et à la fois il savait nous récompenser à chaque fois qu’on faisait quelque chose de bien. Ma mère, elle était une maman poule qui arrondissait les angles, essayait d’éviter que l’on soit trop grondés… Ils étaient extraordinaires, aimés de tous. Mais, ils n’expliquaient pas assez la vie. Notre univers était très protégé. On faisait tout ensemble en famille, on allait à l’école ensemble, on mangeait ensemble, on dormait ensemble… c’était sécurisant mais en vase clos. Dans ce cocon familial où tu te sens protégée, à un moment tu étouffes. Alors ma phase de révolte je l’ai connue à 19 ans. Je me suis réfugiée dans le sport et je suis partie vivre au village, en Corse. La maison familiale était à l’époque vide, en indivision. J’y ai passé 3 à 4 mois seule, à vivre mon adolescence à retardement. 3 mois pour me découvrir moi-même, en me foutant complétement de la suite. Mes parents ont été inquiets mais ont joué le jeu, sans téléphone, à attendre les quelques lettres que je voulais bien leur envoyer.

Après cette « crise d’ado à retardement », qu’est-ce qui s’est passé ?
Je voulais m’arrêter en 3ème et aller au CREPS pour devenir éducatrice sportive en passant mon bac libre. Mais mes parents n’ont pas voulu. Elevée dans la droiture, j’ai obéi. Mais je n’ai plus été bien dans ma peau. J’ai fait une école de commerce, pourquoi, je ne sais pas. Je pense que quand un enfant veut faire un métier, il faut le laisser faire. Il se rendra vite compte si c’est pour lui ou pas finalement.

Quelles sont vos premières expériences professionnelles ?
C’était les 30 glorieuses, le commerce explosait de partout à Marseille. Je suis entrée dans le maritime parce que c’était vivant et très intéressant. C’est un métier où tu bouges beaucoup, tu ne restes pas dans un bureau. On avait des usines en Guinée, au Cameroun et le travail consistait à expédier du matériel pour construire ces usines. Un bateau arrivait, il fallait tout charger. Tu ne travailles pas dans l’urgence mais sous pression. C’était une période très joyeuse avec beaucoup de travail, d’argent… Il y avait du paternalisme dans les entreprises et cela n’existe plus : on t’accompagnait, on t’aidait à te forger ton caractère, tu faisais des rencontres. Le milieu maritime oblige à la remise en question permanente donc finalement tu progresses chaque jour. Le boulot est devenu vraiment passionnant quand j’ai travaillé à Fos. Tu travailles seule au monde sur ton quai désert, les problèmes sont pour toi, les réussites aussi. Malgré tout, j’ai toujours vu le travail uniquement comme un moyen de gagner ma vie. De faire du sport, de faire la fête et de pouvoir m’acheter ce que je voulais.

Est-ce que vous aviez un plan de carrière et des objectifs dans votre vie personnelle ?
Aucune projection, aucune stratégie. J’ai toujours vécu au jour le jour. Selon moi, réussir c’est savoir goûter l’instant présent. La journée se déroule et tu réagis en fonction. C’est ce qui m’a permis de faire de belles rencontres notamment. J’ai toujours été au bon endroit, au bon moment, avec les bonnes personnes. Tout est arrivé mais je n’ai jamais rien cherché. Et le temps passe vite ! Ma sœur jumelle est radicalement différente. Elle a eu des coups durs parce qu’elle vise trop loin. Mais elle a une capacité de rebond qui m’époustoufle.

Et vous, vous avez su éviter les coups durs ?
Bien sûr, l’arrachement à la Tunie et la mort de mon frère m’ont changée à jamais.

Est-ce que la vieillesse vous angoisse ?
Non elle ne m’angoisse pas. Tu fais avec. La seule chose qui doit être terrible à vivre, c’est le manque de communication avec l’autre ; quand il n’y a plus de contact.

Poursuivez la phrase : « Je suis fière de moi parce que… »
Ah mon dieu… Parce que j’ai essayé de ne pas faire de mal aux gens. Je ne sais pas si je suis fière de moi en fait. Ce mot fierté, je ne le saisis pas.

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