illustrations femmes sacrée frangine

Deux mamans racontent leur quotidien avec le COVID-19

Voici un contenu pour le moins inhabituel mais qui, je le pense, a toute sa place sur le Journal de Soror. Pour un magazine en ligne, j’ai recueilli le témoignage de plusieurs femmes me racontant comment elles vivent la pandémie, en travaillant et en étant maman. Je n’ai pu retranscrire que certains passages et j’avais très envie de livrer deux d’entre eux ici, dans leur intégralité. Ces dernières semaines, ces deux mamans ont appris à composer, à dompter leurs angoisses et à prendre leur mal en patience. Au cœur de la crise sanitaire que nous traversons, leur récit n’a rien d’extraordinaire, au sens littéral. Il pourrait être celui de nombre d’entre nous et c’est justement en cela qu’il me semble très instructif, révélateur des ressources que nous déployons toutes et tous à notre échelle, avec nos vécus et nos contraintes.

L’illustration est signée par le talentueux duo créatif sacrée frangine

Je m’appelle Marie, j’ai 42 ans je suis maman de trois enfants, Louise 16 ans, en 1ère, Jeanne 14 ans, en 4ème et Lucien 6 ans en CP… et la famille s’est agrandie récemment avec un chiot de quatre mois, Springer Spaniel Plume, qui prend du temps aussi !

Depuis 6 ans, je suis infirmière libérale au Bouscat, une commune proche de Bordeaux. J’ai quitté le CHU de Bordeaux après y avoir travaillé 12 ans en réanimation. On vit dans une maison avec jardin. Chaque enfant a sa chambre et l’on mesure la chance qu’on a… Au fond, il y a une petite maisonnette. Elle fait office de débarras en temps normal, mais je l’ai investie depuis plusieurs semaines. J’y dors sur un canapé-lit très inconfortable, j’y ai ma salle d’eau. Mon mari ayant une maladie inflammatoire chronique traitée depuis des années par des immunodépresseurs, nous avons pris cette décision pour le protéger de ma potentielle contagiosité. Mes jours de travail, je fais une tournée le matin de 7h à 13h puis une tournée du soir, de 16h30 à 19h30. Je travaille en blouse d’hôpital, avec gants et masque…. A la fin de ma matinée je me déshabille dans la rue, je laisse mes chaussures dehors, je traverse la maison en sous-vêtements, mes assistants m’ouvrent les portes, je jette les habits directement dans la machine et je file sous la douche…. Ce cirque a lieu deux fois par jour, avec la sensation d’être un virus ambulant… 

Le legging est mon nouveau meilleur ami. Confortable et séchant vite, je l’adore tellement que je l’adopte, même mes jours de repos… Mon mari est prothésiste dentaire, à la maison en chômage technique. Il s’occupe des devoirs du petit et des repas. Mes jours de repos je prends le relai ou non d’ailleurs, selon l’humeur. Pour faire travailler Lucien matin et soir, nous mettons France 4 de 9h à 10h et il regarde C’est Pas Sorcier à 13h30. C’est l’heure du café, les enfants le savent, c’est mon moment à moi.

Notre grande de 16 ans avait déjà anticipé ce que l’on pourrait nommer un confinement, avec l’entrée, depuis le début de la première, dans ce monde étrange qu’est l’adolescence… Elle bosse de manière autonome sur un Mac prêté par son grand-père, connectée avec ses amis sur Snapchat en permanence et sur Netflix. On la voit pour les repas… La deuxième a besoin d’un peu plus d’aide, mais se débrouille assez bien, participant à la vie de famille et s’amusant avec le petit. Plus manuelle, elle coud, dessine…

Le plus pesant pour moi, c’est l’angoisse de chopper le COVID-19 en travaillant et de le ramener chez moi, malgré les mesures drastiques que j’ai mises en place. Depuis trois semaines, je forme, j’éduque sur les gestes barrières, je raisonne mes patients jusqu’à m’en épuiser, à hurler parfois, à en chialer dans les ascenseurs ou ma voiture… Alors vu que clairement je vis en legging, je l’utilise le soir pour une heure de gym et yoga pour finir, cela m’aide à évacuer un peu. A partir de 19h, c’est souvent e-apéro ou apéro tout court, je m’endors mieux après… Mais je me réveille toutes les nuits sans pouvoir toujours me rendormir.

Le stress monte ces jours-ci. J’ai l’impression de partir à la guerre en sortant de chez moi. Aux mamans qui travaillent en télétravail, j’aimerais dire de mesurer la chance qu’elles ont. Par contre, j’imagine la difficulté, surtout avec des petits, de trouver deux minutes pour accomplir une tâche professionnelle. Quand je sors, j’ai peur, mais au moins, je ne fais que travailler.

 

Je m’appelle Anna, j’ai 37 ans, je suis maman de deux enfants, de 2 et 6 ans et je suis professeure des écoles, en Corse.

Au commencement du confinement, c’était compliqué car les serveurs permettant de faire cours à distance et les réseaux internet étaient saturés. Avec mes collègues, nous avons beaucoup travaillé tard la nuit, à une heure où nous pouvions poster nos séances sans bug. Puis le matin, tous les élèves se connectant en même temps, les sites sautaient et il fallait alors vite trouver des solutions de repli. Tout ça avec les enfants au milieu, c’était parfois folklorique.

Après maintes discussions, on a trouvé un système de fonctionnement qui correspond à tous. Car il faut aussi gérer le fait que tout le monde n’a pas un stock de cartouches d’encre et de feuilles A4 ; ou bien que les parents en télétravail ont besoin de l’ordi, eux aussi. Bref, autant de difficultés qui ajoutent du stress à des parents ayant déjà du mal à faire classe tout en travaillant, dans un cadre qui n’est pas celui de l’apprentissage. A l’école, il n’y a pas les distractions de la maison. Je suis enseignante et pourtant, faire classe à mon grand de CP qui rechigne, qui veut voir sa maîtresse, qui veut regarder la télé… eh bien c’est compliqué. Je ne connais que des parents qui mettent du cœur à l’ouvrage et me remercient du travail fait. Et ça franchement, ça me fait oublier les batailles, à 2h du matin, avec le site internet qui ne veut pas intégrer l’exercice de lecture compréhension à ma séance ! Il faut aussi souligner la rapidité des sites pour s’adapter aux besoins. Tous les éditeurs ont mis leurs ouvrages en libre accès. Et ce, très rapidement et de façon efficace sur nos boîtes mail et sur les réseaux de professeurs, notamment sur Facebook. L’essentiel est bien là : les gens font leur maximum pour faire face et nous, tout ce que nous pouvons pour les accompagner. On appelle les parents, on s’envoie des SMS, beaucoup de mails. Il faut bien insister et expliquer à tous les parents qu’ils ne nous dérangent pas : nos élèves nous tiennent à cœur et leur réussite aussi. 

On dédramatise aussi beaucoup. Si les devoirs du lundi ne sont pas faits le lundi ce n’est pas grave, les parents peuvent échelonner la charge de travail. Si un exercice pose problème, ils peuvent m’appeler. Si le son « oin » ne passe pas aujourd’hui, il passera demain. Il ne faut pas mettre la pression et mettre en place des petits rituels, établir des horaires de travail. Le tout étant la régularité. Un peu chaque jour au moment le plus opportun pour toute la famille. On essaie de répéter autant que possible que le plus important est le climat pour l’enfant. Évidemment, pour les enfants de parents contraints d’aller travailler, tout est bien plus complexe. Je me montre encore plus présente, je leur envoie des jeux, des défis. Certains de mes parents d’élèves soignants travaillent de nuit et font classe à leurs enfants la journée. Ils s’inquiètent, alors, je les rassure : toutes les notions seront reprises en classe, on ne laissera aucun élève en difficulté, on fera tout ce qu’il faut.

Aux parents qui affrontent au quotidien le virus, aux soignants, ouvriers, postiers, pharmaciens, commerçants, je dis merci. Je pense à eux chaque jour. Mon mari travaille à l’extérieur, c’est stressant de le voir partir et quand il rentre, difficile de retenir deux enfants qui ont attendu toute la journée leur père, avant qu’il soit douché, que le linge soit mis en machine… Rien que d’y penser, j’ai le tournis ! 

Le plus pesant aujourd’hui, c’est l’incertitude.  C’est l’inquiétude des enfants pour leurs parents. La peur pour les nôtres qui sont soignants, en première ligne pour nos anciens. Ce n’est pas très joyeux. Je suis admirative de toutes ces aides volontaires, des marques d’attention, des cagnottes des anonymes, des applaudissements et des bougies qui éclairent nos soirées… L’entraide et la solidarité sont toujours bien présentes.

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